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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Tantra... (sans oser le demander)

Entretien avec Miranda Shaw



WIE: Dans votre livre, L'éveil passionné, vous décrivez en quoi le bouddhisme tantrique est né comme un mouvement révolutionnaire ou rebelle contre la rigidité des institutions monastiques du bouddhisme traditionnel. Qui étaient ces révolutionnaires?

MIRANDA SHAW: Les fondateurs du tantrisme venaient de tous les horizons. Nous trouvons tout aussi bien des personnes issues de la royauté, de l'aristocratie, que des individus venant des populations tribales, des commerçants, des artisans. Ce qui est très intéressant, c'est qu'on y trouve aussi des personnes venant de monastères. Tandis que le Tantrisme prenait racine et forme, certains moines quittèrent leur monastère car ils ne voulaient pas vivre retirés du monde. Toutefois l'élan majeur du mouvement se passa en dehors des monastères, parmi ceux qu'on appelle les profanes - des personnes qui voulaient pratiquer le yoga et des disciplines spirituelles mais pas nécessairement dans un contexte monastique, an faisant voeu de célibat, ni séparés des personnes du sexe opposé ou hors du contexte de leurs relations intimes et familiales.

WIE:Quels furent les événements marquants qui donnèrent son essor à ce nouveau mouvement?

MS:Le développement du bouddhisme a été marqué par une expansion toujours croissante vers des zones géographiques nouvelles et de nouveaux milieux sociaux-culturels. Pendant la période tantrique, la base du bouddhisme est de nouveau en expansion et se tourne, par exemple vers les régions de montagnes, vers des personnes en marge de la société et appartenant aux couches inférieures de celle-ci. Devenant bouddhistes, ces personnes apportaient leurs propres formes de spiritualité, leurs propres symbolismes et leurs techniques rituelles. Leurs révélations se sont mêlées étroitement à la vision du bouddhisme tantrique. Une des connaissances rituelles associée à ces groupes est la pratique du chamanisme de "transformation en divinité". Ces techniques de "transformation en divinité" se combinèrent avec le but tantrique d'atteindre l'état de Bouddha dans cette vie même.

WIE:Se transformer en divinité - qu'est ce que cela signifie exactement?

MS:Incarner la présence de la divinité à chaque niveau de notre être : corps, parole et esprit. Pas seulement voir mentalement le monde comme une divinité le verrait - aussi harmonieux, pur et parfait qu'il est, un royaume de splendeur esthétique - mais aussi de parler comme une divinité parlerait avec des mots de sagesse, de libération et de compassion. Ce que je trouve très exaltant dans la vision tantrique est la pratique de la réalisation de la présence de la divinité dans notre propre corps et de la manifestation de la divinité à travers notre activité physique. Et il ne s'agit pas seulement de manifester la présence de la divinité afin qu'elle puisse être adorée, ou guérir et accomplir d'autres activités, il s'agit de manifester le plein éveil, l'état de Bouddha, dans ce monde.

WIE:Quelles étaient les pratiques clés dans l'approche tantrique?

MS:Les techniques de base de l'attention et les enseignements éthiques du bouddhisme étaient déjà en place à ce moment-là. Ce qui fut ajouté alors est l'incorporation d'un certain nombre de techniques yogiques, des manières spécifiques de diriger la respiration et les énergies intérieures du corps tirées de la connaissance plus large du yoga en Inde. Beaucoup d'éléments rituels étaient également incorporés ainsi que des techniques magiques et des danses. Pourtant, ce qui était probablement le plus significatif dans cette période, était l'introduction du yoga de l'union - les pratiques que les hommes et les femmes pouvaient faire ensemble afin de transformer leurs énergies éveillées par l'union sexuelle, en un état subtil de conscience, de sagesse et de béatitude.

WIE:Jusqu'alors il n'y avait aucune pratique sexuelle dans le bouddhisme, n'est ce pas?

MS:C'est vrai. Il y avait des enseignements éthiques sur la sexualité mais il n'y avait pas de yoga pour utiliser ces énergies afin d'atteindre l'éveil.

WIE:De quelle façon la sexualité ou la pratique du yoga sexuel étaient-elles vues comme bénéfiques sur le chemin vers l'éveil?

MS:La sexualité est un aspect extrêmement fort, primaire et irréductible de la nature humaine. Une des contributions du paradigme tantrique était la compréhension que des énergies sexuelles étaient perdues dans certaines formes de pratiques méditatives. Quelques uns des pionniers tantriques ressentaient que le célibat ne représentait pas, en fait, une maîtrise de la sexualité mais plutôt une répression ou même une fuite craintive de celle-ci. En fait on reportait à des vies futures le travail nécessaire à l'intégration de chaque aspect de notre être et à la maîtrise de toutes les formes d'énergie.

WIE:L'idée était donc que si on faisait voeu de chasteté à vie il n'y avait aucune possibilité d'atteindre la maîtrise de la pulsion sexuelle ?

MS:Il y a un enseignement tantrique qui nous apprend que sans la pratique de l'union sexuelle et sans l'intégration des énergies à ce niveau, il est impossible d'atteindre l'éveil dans cette vie même.

WIE:J'ai lu dans votre livre qu'un des textes tantriques va jusqu'à affirmer que même le Bouddha n'a, en fait, pas atteint l'éveil en dessous de l'arbre Bodhi, comme on le croit généralement, mais pendant la pratique du yoga sexuel avec sa femme dans le palais.

MS:C'est exactement à cet enseignement que je me réfère. Ils disent que c'est impossible d'atteindre l'éveil dans cette vie même, sans union avec un partenaire yogique. Par conséquent ils affirment que même Shakyamuni Bouddha avait une partenaire avec laquelle il pratiquait - son épouse, avant qu'il ne quitte le palais. S'il n'avait pas fait cela, il n'aurait pas pu atteindre l'éveil.

WIE:Vous dites, dans votre livre, que tout en ayant atteint l'éveil dans son palais, il a renoncé à son royaume, est devenu vagabond et a fait des années de pratiques austères afin d'inciter d'autres personnes à s'engager dans la vie spirituelle - des personnes susceptibles d'être touchées par un tel acte de renonciation.

MS:Oui, il a atteint l'éveil dans l'union avec sa femme. Ensuite, afin d'attirer des personnes qui pourraient être inspirées par la renonciation et qui sont, en fait, destinées à suivre un chemin de renonciation dans cette vie, il leur a offert cet exemple d'austérité illusoire.

WIE:C'est une histoire fascinante. Toutefois j'imagine que les theravadas ou autres bouddhistes plus traditionnels soulèveraient que ce n'est qu'une réécriture de l'histoire pour servir les fins idéologiques même du Tantrisme.

MS:Ce que Shakyamuni a vraiment fait, atteint et dit est si profondément perdu dans les profondeurs du passé, que les premières sources écrites se situent plusieurs centaines d'années après sa mort. J'ai le sentiment que la version tantrique est plausible.
Je voudrais cependant préciser que les tantristes n'ont pas émis de jugement de valeur sur les personnes qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas intégrer leurs énergies sexuelles à leur chemin spirituel pendant cette vie. Ils ont compris que le célibat est approprié pour certaines personnes en fonction de l'état de leur karma. La compréhension tantrique a toutefois ajouté la reconnaissance que certaines personnes ont une abondance de passion - un caractère très sensuel, sensitif, esthétiquement vivant et émotionnellement fort. Ils ont voulu offrir le tantra à ces personnes comme une façon d'utiliser cette intensité afin que l'énergie qui était à leur disposition ne soit pas gaspillée, énergie à laquelle de toute manière ils ne pouvaient probablement pas vraiment renoncer et qu'ils ne pouvaient pas réprimer.

WIE:Vous semblez dire qu'il y a différents chemins pour différents types de personnes et que le tantra était conçu à l'intention des personnes passionnées, celles qui exprimaient un degré inhabituel de feu et d'intensité dans leur caractère.

MS:Absolument. Les textes le répètent constamment : Le tantra est fait pour des personnes passionnées.

WIE:Comment est-ce que cela s'accorde avec ce que vous venez de décrire, que l'union tantrique est la seule manière possible pour quiconque d'atteindre la pleine bouddhéité dans cette vie?

MS:La pleine bouddhéité dans cette vie est le but du tantrisme. Ce n'est pas le but des bouddhismes mahayana ou theravada. C'est pourquoi c'est complètement logique.

WIE:Mais quelle que soit la vie dans laquelle l'éveil est atteint, le moment de l'éveil sera dans cette vie même. Donc, au bout du compte , ils semblent bien dire que la seule manière pour quelqu'un d'y arriver est par la pratique du yoga sexuel ou de l'union tantrique.

MS:C'est vrai. Parce que, de manière intéressante, les tantristes croient qu'afin d'atteindre l'éveil complet, il faut contacter et libérer l'énergie du coeur, qui pour eux est le centre, le noyau de notre être, de notre conscience, au niveau le plus profond. C'est là que se sédimentent la peur, la haine et la colère de plusieurs vies. Ils ressentaient que seule l'énergie générée par la pratique de l'union avec un partenaire avait le pouvoir de faire exploser les résidus de siècles de comportements égoïstes, de vies plongées dans l'illusion et la négativité et dissoudre les couches de haine et de peur dans nos coeurs.

WIE:Comment cette explosion se produit-elle ? Dans votre livre, vous affirmez cette croyance que « la pratique avec un partenaire (tantrique) a le pouvoir d'ouvrir le coeur pleinement au niveau le plus profond, le libérant de tous noeuds, obstructions et obscurcissements créés par des idées fausses et des émotions centrées sur le moi. »

MS:Un des buts des yogas sexuels est de concentrer les énergies dans la partie abdominale du corps, qui est le siège du feu intérieur que les tantriques cherchent à allumer et à enflammer. Par la pratique de l'union sexuelle l'attention est concentrée dans cette endroit du corps, qui se trouve plusieurs centimètres en-dessous du nombril, dans la zone d'ou les sensations sexuelles émergent. Toutefois, contrairement à une sexualité ordinaire, ou les partenaires laissent simplement le plaisir suivre son cours, les tantristes concentrent leur énergie et leur pensée sur cet endroit et l'utilisent pour réveiller ce feu intérieur. Lorsque le feu s'enflamme et commence à brûler intensément il est possible de faire plusieurs types de méditations qui rendent plus subtiles les énergies dans le coeur. Une des méditations proposées est de diriger l'énergie vers le haut, vers le coeur, et quand la grande quantité d'énergie libérée traverse le coeur elle défait naturellement un noeud et pulvérise ces résidus. Toutefois, lorsque ces résidus sont libérés on peut parfois avoir l'expérience d'une émotion qui est relâchée et arrive jusqu'à la conscience. Il peut s'agir, par exemple, d'une haine ou d'une peur, et ce genre d'émotion sera activement vécu au moment où elle se libère. Cela demande beaucoup d'attention consciente pour traiter ces émotions qui émergent du passé et les lâcher lorsqu'elles montent à la conscience au lieu de les projeter sur la situation présente.

WIE:Il semble que la pratique demande beaucoup plus que la simple production d'une énergie intense. Elle demande aussi de cultiver certaines qualités et son caractère, afin que celui qui pratique soit capable de supporter tout ce qu'une telle intensité d'énergie va faire émerger.

MS:Il y a un risque de ré-attachement parce que, face aux émotions intenses qui sont générées, si on n'est pas vraiment décidé à s'en détacher, on peux se perdre à nouveau dans ces névroses du passé. Ces émotions du passé exigent à ce moment qu'on les traite d'une façon ou d'une autre, et c'est pour cela que l'on dit que pratiquer le tantra est comme marcher sur le fil du rasoir. Cela n'est pas sans danger. L'intensité des énergies avec lesquelles on travaille et les couches du psychisme que l'on déterre sont potentiellement dangereuses pour la tranquillité de l'esprit.

WIE:Une autre pratique que vous expliquez en détail dans votre livre concerne l'association de la béatitude et du vide, ou la tentative d'amener l'expérience du vide dans l'expérience de la béatitude. Quand vous dites "béatitude" dans ce contexte, parlez vous seulement du plaisir érotique - le même plaisir que tout le monde connaît?

MS:Dans la pratique tantrique, vous allez au-delà du plaisir en le suivant jusqu'à sa racine, qui est le noyaux de l'esprit et qui est pure béatitude. Vous entrez dans le royaume de la béatitude pure, qui est au-delà des sens, mais vous avez utilisé les sens pour y arriver. Vous avez utilisé le plaisir sensuel pour aller profondément jusqu'à sa racine. Mais lorsque vous vous trouvez à ce niveau de profonde béatitude, il est très facile de s'attacher à l'objet de la béatitude ou à sa source - qui est votre partenaire - et aussi à s'attacher à l'expérience de la béatitude elle-même, transformant ainsi cet état de béatitude en une nouvelle expérience d'attachement. C'est pourquoi on associe l'expérience de la béatitude à une méditation sur le vide. Dans le tantra il est nécessaire d'associer cette intense expérience de béatitude avec la réalisation du vide.
Des pratiquants du tantra devraient déjà être familiers avec la philosophie du vide ; la compréhension que tout phénomène n'a aucune identité intrinsèque ni d'existence permanente ou indépendante. Dans ce sens, il y a une compréhension de la nature illusoire du monde, que ce monde est incapable d'apporter la vraie satisfaction ou la vraie béatitude. En pleine expérience de béatitude les partenaires tantriques appliquent cette compréhension spécifique sur l'expérience de béatitude elle-même et la déconstruisent, afin de voir qu'il n'y a pas de soi qui expérimente la béatitude. Cette béatitude est issue d'une sorte d'espace vide. Elle n'appartient à personne. Elle n'a pas de source. La béatitude vécue dans la réalisation de ce vide devrait amener chacun des partenaires vers une conscience vaste et céleste, sans centre, qui est l'essence de la conscience universelle.

WIE:Il y a un autre passage de votre livre ou vous décrivez la transformation du plaisir sensuel en une extase spirituelle.

MS:C'est exactement comme cela que ça arrive. Le plaisir ordinaire est transformé en plaisir transcendant par l'application de la réalisation du vide.






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