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Rencontre du 3ème type avec l’Advaita
Le nihilisme euphorique de Ramesh Balsekar
Entretien avec Ramesh Balsekar
mené par Chris Parish
WIE:Vous êtes de plus en plus connu comme enseignant de l’Advaita Védanta, en Inde comme en occident. Pouvez- vous nous décrire ce que vous enseignez ?
RAMESH BALSEKAR: Je peux le dire en une phrase, vraiment. La seule phrase sur laquelle est fondé tout mon enseignement : « Que ta Volonté soit faite». Ou comme le disent les Musulmans, « Inch Allah » « S’il plaît à Dieu ». Ou bien, en paroles du Bouddha : « Les événements arrivent, les actions sont faites, il n’y a pas d’agissant individuel/d’individu qui agit ». Voyez vous, le conflit de base dans la vie est : « Tout ce que je fais est bien, donc je veux ma récompense ; lui ou elle fait toujours quelque chose de mal et devrait être puni. » C’est de cela qu’il est question dans la vie, n’est-ce pas ?
W
WIE: C’est vrai que cela arrive certainement très souvent.
RB:Voilà la base de ce que j’ai observé. Tout le problème de ce que quelqu’un dit, « Moi, j’ai fait quelque chose et je mérite une récompense, ou lui, il a fait quelque chose et donc je veux le punir pour cela ».
WIE: Comment amenez vous les gens à cette idée :« il n’y a pas d’agissant individuel/d’individu qui agit »?
RB:C’est très simple. Analysez n’importe quelle action que vous considérez comme votre action, vous allez trouver que c’est la réaction du cerveau à un événement extérieur sur lequel vous n’avez aucun contrôle. Une pensée arrive
- vous n’avez aucun contrôle sur quelle pensée va arriver. Une chose est vue ou entendue - vous n’avez aucun contrôle sur ce que vous allez voir ou entendre par la suite. Tous ces événements, sur lesquels vous n’avez aucun contrôle, arrivent. Et ensuite que se passe-t-il ? Le cerveau réagit à la pensée ou à la chose qui a été vue, entendue, goûtée, sentie ou touchée. La réaction du cerveau est ce que vous appelez « votre action ». Mais en fait, ce n’est simplement qu’un concept.
WIE: Alors quelle est la différence entre les pensées, sentiments et actions d¹une personne éveillée et celles d¹une personne non éveillée ?
RB:Il se passe la même chose. La seule différence est que dans le cas du sage, il comprend que les choses se passent ainsi. Et donc il sait que rien n’est fait par lui simplement tout arrive. Le sage sait que «ce n’est pas moi qui agis». Mais une personne ordinaire va dire, « je fais ceci ou il ou elle fait cela. Donc je veux ma récompense et je veux qu’il ou elle soit puni ». La récompense ou la punition dépend de l’idée que moi, lui ou elle agissons.
WIE: D’après ma propre expérience, je peux comprendre que nous n’avons aucun contrôle sur quelle pensée où quelle émotion va surgir. Mais parfois une action s’ensuit et parfois non, et il me semble qu’il y a une très grande différence entre la simple émergence d’une pensée et une action qui affecte une autre personne.
RB:L’action est le résultat de la réaction du cerveau à la pensée. S’il arrive que la pensée a simplement été témoignée et le cerveau ne réagit pas à la pensée, alors il n’y a pas d’action.
WIE: Mais si, comme vous dites, il n’y a personne qui décide comment réagir, alors quelle est la cause qui fait que l’action se produit ou non ?
RB:Une action arrive si c’est la volonté de Dieu que cette action se passe. Si ce n’est pas la volonté de Dieu, l’action ne se fait pas.
WIE: Est ce que vous êtes en train de dire que chaque action qui se fait est la volonté de Dieu ?
RB:Oui c’est la volonté de Dieu.
WIE: Agissant à travers une personne ?
RB:À travers une personne, oui.
WIE: Qu’elle soit éveillée ou non ? Autrement dit, à travers tous ?
RB:C’est juste. La seule différence, comme je le disais, c’est que l’homme ordinaire pense, « cette action est mienne », alors que le sage sait que l’action n’appartient à personne. Le sage sait que « les actes sont faits, les événements arrivent, mais il n’y a pas d’agissant individuel ». C’est l’unique différence pour ce qui me concerne. À la différence du sage, la personne ordinaire croit que les actes qui arrivent à travers cet organisme corps-esprit est le fait de l’individu, voilà la seule différence. Donc comme le sage sait qu’aucune action n’est de son fait, s’il arrive qu’une action blesse quelqu’un, il fera tout ce qu’il peut pour aider la personne blessée mais il n’y aura aucun sentiment de culpabilité.
WIE: Voulez-vous dire que si un individu agit de manière à finalement faire du mal à un autre, alors la personne qui a agi, ou comme vous dites cet « organisme corps-esprit» n’est pas responsable ?
RB:Ce que je suis en train de dire c’est que vous savez que « je » ne l’ai pas fait. Je ne dis pas que je ne suis pas désolé d’avoir fait du mal a quelqu’un. Le fait que quelqu’un a été blessé produira un sentiment de compassion et cette compassion me conduira à tout essayer pour soulager la douleur. Mais il n’y aura pas de sentiment de culpabilité : Ce n’est pas moi qui ai agi ! L’autre aspect de cela, c’est que lorsqu’il arrive une action que la société loue et pour laquelle elle me récompense, je ne dis pas que cela ne provoquera pas un sentiment de bonheur. C’est juste que la compassion émerge en conséquence d’une peine, de la même façon qu’une sensation de satisfaction ou de bonheur émerge en conséquence d’une récompense. Mais il n’y aura pas de fierté.
WIE: Mais voulez-vous dire que littéralement si je frappe quelqu’un, ce n’est pas moi qui agis ? Je veux juste clarifier ce point.
RB:La réalité de base, le concept de base reste inchangé : vous frappez quelqu’un. Après s’ajoute le concept que tout ce qui arrive est la volonté de Dieu, et en référence à chaque organisme corps-esprit la volonté de Dieu est le destin de chaque organisme corps-esprit.
WIE: Je pourrais donc dire, « C’était la volonté de Dieu que j’agisse ainsi; ce n’est pas ma faute. »
RB:Bien sûr. Une action se passe parce que tel est le destin de l’organisme corps-esprit qui agit, et parce que telle est la volonté de Dieu. Et les conséquences de cette action sont aussi le destin de l’organisme corps-esprit. Si une bonne action se produit, c’est le destin. Par exemple nous avions une Mère Teresa. L’organisme corps-esprit appelé « Mère Teresa » était programmé de telle façon qu’il ne faisait que de bonnes actions. Alors le déroulement de ces bonnes actions était le destin de l’organisme corps-esprit appelé Mère Teresa. Et les conséquences furent un Prix Nobel, des récompenses, des prix et des donations pour ses oeuvres. Tout cela était le destin de l’organisme corps-esprit appelé Mère Teresa. Et à l’opposé, il existera un organisme psychopathe, programmé par la même source de façon à ce qu’il n’en émerge que du mal ou de la perversion. L’accomplissement de ses actions perverses et mauvaises est le destin de l’organisme corps-esprit que la société appellera psychopathe. Mais le psychopathe n’a pas choisi d’être psychopathe. En fait il n’y a pas de psychopathe ; il n’y a qu’un organisme corps-esprit psychopathe dont le destin est de commettre des actes malsains et pervers. Et les conséquences de ces actes sont aussi le destin de cet organisme corps-esprit là.
WIE: Est ce que vous dites que tout est prédestiné ? Que tout est préprogrammé depuis la naissance ?
RB:Oui. J’utilise le terme « programmer » pour faire référence aux caractéristiques inhérentes à l’organisme corps-esprit. Pour moi «programmer » signifie : les gènes plus le conditionnement par l’environnement. Vous n’aviez pas le choix des parents particuliers qui vous ont fait naître, et donc vous n’aviez pas le choix de vos gènes. Pareillement, vous n’aviez pas le choix de l’environnement spécifique de votre naissance. Donc vous n’avez pas le choix de vos conditionnements d’enfant reçu dans cet environnement, cela comprend le conditionnement à la maison, dans la société, à l’école, et à l’église. Les psychologues disent que notre conditionnement de base nous l’avons reçu en totalité avant l’âge de trois ou quatre ans. Il y en aura d’autres, mais le conditionnement de base qui crée la personnalité est composé des gènes plus le conditionnement de l’environnement. J’appelle cela programmation. Chaque organisme corps-esprit est programmé d’une façon unique. Il n’y en a pas deux pareil.
WIE: Oui, mais n’est-il pas vrai que deux personnes avec des programmations très semblables, pourront cependant se développer l’un et l’autre de manière très différente ?
RB:C’est juste. C’est pour cela que j’utilise deux expressions : l’une est programmation en soi des organismes corps-esprit ; et l’autre est destin. Le destin est la volonté de Dieu par rapport à un organisme corps-esprit particulier, gravé au moment de la conception. Le destin d’une conception peut être de ne pas naître du tout - dans ce cas, il y a avortement. Tout cela est un concept, ne vous y trompez pas. C’est mon concept.
WIE: Vous dites que c’est un concept et bien sûr, toute parole est concept, mais comment savoir si ce concept représente la vérité ? J’ai tendance à penser que chacun a sa responsabilité individuelle et bien qu’il y ait un certain degré de conditionnement dont nous héritons, nous pouvons toujours choisir comment nous réagissons. Un individu
peut transcender des aspects de son conditionnement dans lesquels un autre restera bloqué toute sa vie. Comme cela se passe ainsi, je dirai que cela est dû à la volonté de l’individu de transcender son conditionnement et d’y
réussir.
RB:Mais si cela se passe, cela peut-il arriver sans la volonté de Dieu ? Prenons deux personnes : l’une essaie de surmonter son handicap et y arrive ; l’autre n’y arrive pas. Je dirais que s’il y en a un qui y arrive et l’autre qui échoue, c’est à cause du destin de chacun des deux organismes corps-esprit - par la volonté de Dieu.
WIE: Mais ne pourrions-nous pas tout autant dire que c’est la volonté de Dieu de donner à chaque individu le libre-arbitre de ses décisions ?
RB:Non. Voyez vous, je vous pose la question suivante : Quelle volonté à l’avantage ? Celle de l’individu ou celle de Dieu ? D’après votre propre expérience, jusqu’à quel point le libre-arbitre l’emporte?
WIE: Enfin je trouve que la volonté individuelle peut clairement l’emporter par moments.
RB:Sur la volonté de Dieu ? Si vous voulez quelque chose et vous travaillez pour l’obtenir et l’obtenez, si cela se passe c’est que votre volonté coïncide avec la volonté de Dieu.
WIE: Prenons l’exemple d’un individu qui devient un drogué et qui le reste toute sa vie. On pourrait très bien soutenir qu’il a choisi d’aller contre la volonté de Dieu et y est arrivé - justement parce qu’existe le libre-arbitre.
RB:Mais que vous l’acceptiez ou non est en soi la volonté de Dieu, comprenez-vous ? Que vous acceptez la volonté de Dieu ou que vous n’acceptez pas la volonté de Dieu, est en soi la volonté de Dieu !
WIE: Dire que tout est préprogrammé, que tout est destin et que le choix n’existe pas, ressemble à une forme extrême de réductionnisme. Dans cette perspective, les êtres humains sont comme des ordinateurs ; tout ce qui nous concerne est déjà totalement fixé.
RB:Oui, c’est exactement ainsi.
WIE:Mais pour moi dans cette vision, il manque le coeur humain. Nous ne serions alors que des machines – les choses ne font que nous arriver. Il n’y a rien que nous puissions faire, rien que nous puissions changer.
RB:Exactement, oui !
WIE: Mais cela peut mener à une profonde indifférence à la vie.
RB:Oui, et si cela était le cas, ce serait merveilleux !
WIE: Vraiment ! Merveilleux ?
RB:Mais c’est le but ! Bien sûr. Ainsi vous pouvez dire que tout ce qui arrive est accepté. Alors il n’y a plus de malheur ; il n’y a plus de misères, plus de culpabilité, plus d’orgueil, plus de haine, plus de jalousie. Qu’y a-t-il de mal à cela ? Et comme je vous l’ai déjà dit les actions se font à travers l’organisme corps-esprit, et si l’individu découvre qu’une action a blessé quelqu’un, la compassion survient.
WIE: Mais ça ne vous paraît pas un peu étrange d’aller blesser quelqu’un et d’avoir de la compassion pour cette personne après coup ? Ne serait-ce pas mieux de ne pas faire du mal en premier lieu ?
RB:Mais vous n’avez aucun contrôle sur cela ! Si vous pouviez-le contrôler, vous ne le feriez pas.
WIE: Mais si on croit avoir le contrôle, plutôt que de croire qu’on ne l’a pas, on pourrait choisir de ne pas le faire !
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